titre original | "Hail, Caesar!" |
année de production | 2016 |
réalisation | Joel Coen et Ethan Coen |
scénario | Joel Coen et Ethan Coen |
photographie | Roger Deakins |
musique | Carter Burwell |
interprétation | Josh Brolin, George Clooney, Alden Ehrenreich, Ralph Fiennes, Scarlett Johansson, Tilda Swinton, Channing Tatum, Frances McDormand, Jonah Hill, Christopher Lambert |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Chaque film des frères Coen est attendu comme un évènement. "Ave, César!", qui marque leur grand retour au film purement satirique, l'était d'autant plus que depuis "The Big Lebowski" en 1998, c'est principalement avec deux films noirs qu'ils ont eu les honneurs unanimes de la critique ("The Barber" en 2001 et "No Country for Old Men" en 2007).
Film sur le cinéma, "Ave, César!", qui complète de fort belle manière leur trilogie des idiots, a tout de suite été comparé à "Barton Fink", Palme d'or à Cannes en 1991. Si la société de production nommée Capitole au sein de laquelle se déroulent les deux films est la même, leur tonalité est diamétralement opposée. "Barton Fink", réflexion kafkaïenne et amère sur la place des scénaristes à Hollywood virant au fantastique dans sa dernière partie, est l'œuvre de deux jeunes réalisateurs encore débutants (il s'agit de leur troisième film), qui s'interrogent sur la réalité du monde dans lequel ils ont choisi d'évoluer. Aujourd'hui, après trente ans de carrière et 17 films derrière eux, les deux frères bientôt sexagénaires accomplis ont forcément nuancé leur vision des choses. À cette aune, "Ave, César!" peut être vu avant tout comme une déclaration d'amour au Hollywood des années 50 qui les a fait rêver dans leur jeunesse.
Ils n'ont pas pour autant perdu leur causticité et comme on dit, « qui aime bien châtie bien ». C'est donc un florilège de tous les vices et vertus de la Mecque du cinéma de cette période qui nous est joyeusement proposé, sans oublier la mise au pilori géniale de la grande paranoïa qui saisit tout ce petit monde refermé sur lui-même quand il emboîta le pas du sinistre sénateur McCarthy, fondateur de la commission des activités anti-américaines. Le tout est vu à travers l'homme orchestre qu'est Eddie Mannix (Josh Brolin), "fixeur" pour la firme Capitole, sorte d'homme à tout faire du directeur du studio qui règle promptement les problèmes qui surviennent sur et hors des plateaux.
Les acteurs et réalisateurs étant de grands enfants, la tâche est variée, mais aussi harassante. Josh Brolin, devenu acteur récurrent des Coen, campe avec toute sa force tranquille et sa nouvelle épaisseur ce bon samaritain des stars qui, paradoxe amusant, bien qu'habitué à tout voir et à tout entendre, va se confesser tous les jours parce qu'il ment à sa femme à qui il a promis d'arrêter de fumer en attendant de peut-être répondre favorablement à la société Lockheed qui lui propose un contrat en or pour ses qualités de manager, mais aussi un emploi du temps plus raisonnable. Comme Le Dude (héros de "The Big Lebowski" joué par Jeff Bridges) qui s'était fait "pisser" sur son tapis, Mannix, un peu tourneboulé, va passer tout le film à rechercher Baird Whitlock (George Clooney), l'acteur vedette du studio un peu falot, disparu en plein tournage d'un péplum (le "Ave, César!" du titre).
Les frères Coen brodent donc autour de cette trame pour livrer leur lot de saynètes drolatiques habituel, mais aussi faire revivre les moments cocasses des tournages de cette époque sans doute un peu fantasmée, où chaque rouage d'Hollywood, au-delà de l'aspect mercantile toujours présent, avait conscience de son implication nécessaire pour faire du vocable "usine à rêves" autre chose qu'un slogan. C'est cette variété de décors et de situations que beaucoup de critiques ont reproché au film, jugé moyen, qui d'après eux, ne tient pas sa continuité narrative, tombant ainsi avec facilité dans le travers du film à sketches. C'est sans doute avoir mal compris la démarche des frères Coen, pour qui l'intrigue n'est cette fois-ci vraiment qu'un prétexte pour placer Scarlett Johansson (apparition courte mais tonitruante) dans la peau d'Esther Williams, Channing Tatum dans celle de Gene Kelly sur le tournage d'"Un jour à New York" (Stanley Donen, 1949), Alden Ehrenreich dans la panoplie du cowboy chantant Gene Autry ou encore Ralph Fiennes dans la peau de George Cukor.
Les affaires rentrant dans l'ordre à la fin du film, Eddie Mannix, qui aura dû entre temps se frotter aux deux commères Louella Parsons et Hedda Hopper, malicieusement réunies en deux sœurs jumelles interprétées par la filandreuse Tilda Swinton, choisira de garder son boulot de nounou des stars. Clin d'œil ultime des frères Coen qui, comme lui, ne quitteraient pour rien au monde l'usine à rêves qu'ils contribuent à préserver avec leur cinéma bariolé et iconoclaste.
Il faut noter enfin que si la prestation remarquable du jeune Alden Ehrenreich a été justement soulignée, celle de George Clooney en jupette romaine campant ici son quatrième idiot pour les Coen mérite un coup de chapeau. La scène de la rencontre avec les dix d'Hollywood qui l'ont kidnappé, suivie de celle, inénarrable, où il explique à Mannix éberlué qu'il vient de prendre conscience de son statut d'agent exploité du grand capital, montre à quel point le beau George est capable de se mettre minable pour la bonne cause.
Ajoutez à l'ensemble une photographie somptueuse de Roger Deakins, leur fidèle opérateur, et les décors plus faux que nature de Cara Brower, et vous obtenez un opus à classer dans la première moitié de la désormais imposante filmographie de ce duo qui est, lui, inclassable.