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Autre critique de l'essai "Le cinéma américain des années 70" de Jean-Baptiste Thoret

Avec "Le cinéma américain des années 70", Jean-Baptiste Thoret plonge dans une décennie fertile et baroque où l'on croise Scorsese, De Palma, Friedkin, Romero ou Cassavetes, Dustin Hoffman, De Niro, Pacino, Faye Dunaway ou Gene Hackman.

Sylvain Gourgeon, axelibre.org

Période instinctive et inventive du cinéma américain, les années 70 ont tout autant fécondé l'imaginaire des cinéphiles que l'âge d'or d'Hollywood. Cinéastes et acteurs de l'époque ont largement et librement impressionné la pellicule et profondément imprimé de leur marque la culture de masse. Souvenez-vous, c'était le temps où audace et exigence étaient encore au cœur du cinéma populaire... Une diversité de genres a explosé dans le cinéma américain de cette période, qu'Hollywood se contente aujourd'hui de resucer : road movies, films dossiers, survival movies, films catastrophe, etc. L'universitaire et critique Jean-Baptiste Thoret et Les Cahiers du Cinéma nous offrent un essai ambitieux sur cette décennie charnière entre le Hollywood classique et la funeste course aux blockbusters entamée dans les années 80. Pour l'auteur, « les films des années soixante-dix [sont] le papillon sublime dont le cinéma classique fut la chrysalide. » Il va plus loin et affirme également que « l'esprit du Nouvel Hollywood n'a jamais cessé de souffler sur le cinéma américain qui continue toujours de se fabriquer sur les acquis formels et thématiques des années soixante-dix. » Le souffle en moins, serait-on tenté d'ajouter.

Hélas, qui trop embrasse mal étreint. À trop vouloir théoriser dans son ensemble une période où, justement, la narration cinématographique éclate en tous sens, Jean-Baptiste Thoret décrédibilise un peu son propos. Passées les enthousiasmantes 50 premières pages de l'ouvrage (une mise en perspective historique et synthétique du cinéma américain des seventies), on a souvent l'impression de lire une thèse de doctorat, accumulant par moment tous les péchés mignons de la prose universitaire : une propension à jargonner, un martelage en règle des concepts défendus par l'auteur, une multiplication des exemples frisant le sérialisme, une avalanche de citations plus ou moins plaquées sur la démonstration, etc. Du côté éditorial, impossible aussi de passer sous silence les nombreuses coquilles qui émaillent malheureusement le texte et rendent périlleuse la compréhension de certaines phrases.

Malgré ces travers qui transforment parfois la lecture de l'essai en un exercice indigeste, reste que certaines analyses et mises en perspective de l'auteur s'avèrent plutôt éclairantes. Le livre de Jean-Baptiste Thoret a surtout l'avantage de ses défauts : le panorama de la période peut se targuer d'être exhaustif et de ne snober aucun genre. La comédie, le cinéma d'horreur ou le porno y ont droit de cité à part entière à travers "The Party", les films de George Romero ou le célèbre "Gorge profonde". L'auteur propose en outre d'abondantes analyses filmiques de certaines scènes tirées de films jalons des années 50 à 70. Si certaines sont un brin itératives, d'autres se révèlent particulièrement lumineuses (celle du "Lauréat", pour ne citer qu'un exemple).

Le travail de dissection et de digestion du corpus est énorme, c'est un fait. Par ailleurs, certaines thèses de Jean-Baptiste Thoret, malgré leur systématisme irritant, offrent des clés solides pour mieux appréhender de nombreux films, mineurs ou majeurs. Mais là où l'auteur se montre franchement convaincant, c'est en décryptant avec acuité les sous-genres typiques de la période dans leur dimension socioculturelle, voire politique. Autre domaine où l'éclairage de l'essai est réel : la nouvelle grammaire filmique développée dans les seventies et ce en quoi elle s'oppose au langage hollywoodien canonique tout en s'en nourrissant. À ce titre, les passages consacrés au split screen ou aux stratégies d'occupation du cadre par les personnages méritent l'attention.

On l'aura compris, "Le cinéma américain des années 70" n'est pas un ouvrage grand public. Seuls les cinéphiles acharnés ou les étudiants en cinéma auront le courage d'avaler les presque 400 pages de l'essai (abondamment illustré, soit dit en passant). Si Jean-Baptiste Thoret n'emporte pas totalement l'adhésion avec la grille de lecture un peu restrictive qu'il nous propose, il confirme au moins un sentiment : quoiqu'hétéroclites, cinéastes et acteurs des années 70 appartenaient bel et bien à une même famille.