titre original | "Agent Recon" |
année de production | 2024 |
réalisation | Derek Ting |
scénario | Derek Ting |
photographie | Zach Trout |
musique | Adam Bosarge |
production | Derek Ting et Joyce Yung |
interprétation | Derek Ting, Marc Singer, Chuck Norris, Sylvia Kwan, Jason Scott Jenkins, Matthew Ryan Burnett, Nikki Leigh, Teo Briones, Christopher Showerman, Yarett Harper |
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
Image figée, image gelée - voire glacée - de l'humanoïde synthétique avec son casque de moto. Transfiguration méta, puisqu'une fois le casque guerrier retiré, apparaît le visage poilu de Chuck Norris. Bloqué par une paralysie digitale révélatrice de notre ère de l'impasse numérique, le poilu inexpressif de 84 ans s'affiche en parangon de notre modernité en putréfaction.
Le Chinois qui fait du karaté, la momie ravagée par l'alcool qui fut - il y a longtemps - torse nu dans de l'heroic fantasy ritale des années 80 ou les fabuleux pouvoirs à la Dragon Ball Z (du Chinois, justement), sans oublier la civilisation extra-terrestre : tous prolongent remarquablement ce que Gilles Deleuze énumérait dans "Différence et Répétition". La multiplication infinie des variants infectés avec leurs masques en plastique ne peut que prolonger le discours substituant le concept de multiplicité à celui de substance, d'événement à celui d'essence, et de virtualité à celui de possibilité. Comme Deleuze, Derek Ting annonce plus une métaphysique qu'une philosophie esthétique.
Trois décors, quelques figurants : l'ascèse janséniste de l'auteur (ici acteur, producteur et réalisateur) relève aussi de Bergson et de son "Évolution créatrice" où l’explication finaliste et l’explication mécaniste de l’évolution, respectivement défendues par la métaphysique traditionnelle et par la science moderne (héritée de Descartes et mettant l’accent sur les « causes efficientes ») annoncent clairement une rupture, une dystopie.
Quand le robot barbu, revenu tel Icare, commence sa dératisation en règle, armé de pistolets mitrailleurs, on réalise soudain que devant le carnage macmalenien se joue subtilement ce que Jean Guitton nommait, dans sa "Justification du temps", la maturation temporelle qui se poursuit jusqu'au moment où l'esprit se dégage du corps vivant et du corps social, double matière à travers laquelle il a pris conscience de soi dans le cosmos.
"Agent Recon" s'impose finalement comme un palimpseste mythologique éternel dont les multiples circonvolutions engendreront des exégèses à l'infini.