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"La fin de siècle du cinéma américain (1981-2000)"

fin de siècle du cinéma américain

Essai de Thibault Isabel
universitaire français, docteur en histoire du cinéma
Éditions de La Méduse, Lille, 2006
541 pages, 21 €

Mise en parallèle de l'évolution des thématiques et des formes privilégiées du cinéma hollywoodien
avec celle des mentalités américaines, durant ces trente dernières années.

Quel tableau dresser du cinéma américain actuel ? Que dire des films qui ont vu le jour aux États-Unis en cette fin de siècle ? Que révèlent-ils des goûts, des préoccupations, de l'état d'esprit de l'époque ? Quels motifs culturels, sociologiques et psychologiques expliquent la popularité dont certains films ont été, ou sont encore, l'objet ? Quel impact ces films ont-ils sur les spectateurs que nous sommes ?
C'est essentiellement à ces questions que le livre s'efforce de répondre.

Introduction - Cinéma et postmodernité

Chapitre I - Paranoïa et crise du corps social

1 - Le rapport à l'autorité et à l'État
2 - La représentation de la famille
2.1. Idéalisation et dévalorisation de la vie de famille
2.2. Étude de cas : "What Lies Beneath"
3 - La machinisation de la société

Chapitre II - La compensation virile
1 - Le héros américain moyen
Approche générale et étude de cas : "Le Masque de Zorro"
2 - Les précurseurs du film d'action postmoderne
Approche générale et étude de cas : la saga "Star Wars"
3 - La compensation virile dans l'Amérique reaganienne
Approche générale et étude de cas : "Conan le barbare"
4 - L'après-guerre du Golfe
Approche générale et étude de cas : "Matrix" / "Fight Club"

Chapitre III - La mégalomanie élitiste
1 - Progressisme et mépris des masses
2 - Les marges de la mégalomanie élitiste

Chapitre IV - Sentimentalisme, dépression et mélancolie
1 - Le sentimentalisme
1.1. Amour, famille et réconfort : la comédie romantique
1.2. Le pathos de la faiblesse
1.3. Les extra-terrestres et le fantasme de ré-intégration de la poche intra-utérine
2 - La dépression pure
Approche générale et étude de cas : "L'Impasse" / "L'Armée des 12 singes"
3 - Mélancolie et renoncement contemplatif
Approche générale et étude de cas : "Eyes Wide Shut" / "Blade Runner"

Chapitre V - Violence, sexe et perversions
1 - Violence et angoisse
2 - Le sadomasochisme
Approche générale et étude de cas : "Total Recall"
3 - Sexe et puritanisme

Chapitre VI - Une ère post-moderne
1 - Modernité et post-modernité
2 - Le post-modernisme à l'écran
2.1. Le présentisme
2.2. Le hasard, le pastiche et la crise du sérieux
2.3. La méta-discursivité

Chapitre VII - Les derniers signes de santé
1 - Les ruines du classicisme
2 - L'esquisse d'une morale adulte
Approche générale et étude de cas : "Havana" / "Crimes et Délits"
3 - La restauration du rapport filial et l'accès à la maturité
Approche générale et étude de cas : "Excalibur"

Conclusion - L'avenir du cinéma

Tranchant avec les approches purement esthétisantes privilégiées par la critique cinématographique actuelle, "La fin de siècle du cinéma américain" propose un véritable diagnostic psychosociologique de la modernité culturelle. La démarche consiste à étudier le lien entre l'évolution du cinéma américain et l'évolution des mentalités américaines. La perspective d'ensemble n'est donc pas d'inspiration formaliste : elle cherche au contraire à mettre en lumière le sens des films, leur discours caché, et, par ce biais, à révéler les caractéristiques culturelles et idéologiques qui dominent la postmodernité. L'ouvrage se livre ainsi à un décryptage du cinéma hollywoodien s'appuyant sur une analyse de films aussi bien auteuristes que destinés au grand public, et produits aux États-Unis depuis l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. A travers l'examen de l'évolution des structures et des thèmes typiques du cinéma de cette époque, un panorama général du 7ème art est dressé : les films emblématiques, les thèmes marquants, les problématiques récurrentes, les héros-types, etc.
Ce panorama du paysage cinématographique actuel s'adresse donc non seulement aux cinéphiles, mais aussi aux sociologues, ou tout simplement à ceux qui s'interrogent sur leur époque et qui considèrent le cinéma comme une fenêtre ouverte sur les sociétés.

Descriptif
En l'espace de vingt ans, depuis l'entrée en fonction de Ronald Reagan jusqu'à la fin de la présidence Clinton, le cinéma américain a considérablement évolué, épousant à sa manière le cours des mentalités du pays, mais aussi les façonnant et leur imprimant ses formes. Miroir du monde autant que transformateur culturel, donc, il a réfléchi et élaboré le passage global des États-Unis d'une posture existentielle dépressive à une posture mégalomaniaque. Entre la défiance et le doute caractéristiques des années 1980 et l'euphorie triomphaliste des années 1990, il est ainsi passé d'un extrême à son opposé. Mais il s'est surtout appuyé en dernier ressort sur une vision paranoïaque des relations humaines, au point de faire apparaître le "style paranoïde" comme le trait culturel dominant du nouveau continent. Que ce soit dans "Star Wars", "Independence Day" ou "Matrix", voire même, sur un mode différent, dans les films auteuristes de Martin Scorsese, Ridley Scott ou Abel Ferrara, c'est toujours le même mal de vivre qu'on voit s'exprimer, tantôt dissimulé par la frénésie d'une violence à fleur de peau ou mis à nu par la noirceur apocalyptique d'un regard désenchanté.
Face à ces élans de déstructuration, pourtant, les écrans américains dessinent parfois l'ébauche d'une résistance acharnée, minoritaire, sans doute, mais plus vivante que dans bien des pays : la recherche renouvelée du sens et la tentative de restaurer le lien entre les générations se dressent en quelque sorte contre la froideur et l'indifférence d'une société sans âme.

Il n'est pas ques­tion ici de fustiger l'impérialisme culturel, ni l'arrogance, de « l'enva­hisseur anglo-saxon ». Certes, la politique économique et artistique des États-Unis apparaît souvent à juste titre agres­sive, et fait peu de cas de la différence ; mais le problème essentiel reste que cette uniformisation générale de la culture se mani­feste dans le sens d'un déséquilibre psychologique et moral accru, et qu'elle sera pro­gressi­vement amenée à gangrener toutes les poches de résis­tance qui tentaient péniblement de perdurer. Cette remarque ne vaut d'ail­leurs pas seulement pour le conflit qui oppose culturel­lement l'Amé­rique au monde extérieur, mais aussi pour celui qui op­pose la culture do­minante américaine à ses réseaux de dissidence et de rébellion. Le malaise qui nous occupe ne provient pas fondamen­talement de la domination d'une culture sur ses rivales - bien que ce phénomène se révèle lui aussi nuisible et inquiétant -, mais de l'extension et de l'universalisation du mal-être à toutes les franges de la société, partout dans le monde. Il se trouve simplement que les États-Unis constituent l'un des principaux instruments, et aussi l'un des prin­cipaux accélérateurs, de ce processus.

Les dates qui définissent les limites de la présente étude (1981-2000) sont évidemment symboliques. L'objectif consiste à dres­ser un diagnostic psychologique d'ensemble du cinéma des deux dernières décennies du XXe siècle. L'approche du nouveau mil­lénaire ne suffisait certainement pas à elle seule à expliquer le « malaise dans la civilisation », dont les effets n'ont assurément pas cessé de se faire sentir depuis le début du troisième millénaire. Mais l'imaginaire lié au sentiment qu'une ère s'apprête à trouver son terme est toujours suffisamment fort pour qu'il serve de métaphore suggestive, et même d'arme de combat. De surcroît, l'année 1981 a correspondu à l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan, qui, dans son pays, a traduit la montée d'un état d'esprit aux implica­tions suffisamment larges pour dépasser le simple domaine poli­tique. L'année 2000, quant à elle, a vu la fin de la présidence Clin­ton ; peu de temps après, qui plus est, une nouvelle période d'instabilité économique et financière a semé la confusion dans les esprits, et l'Occident s'est trouvé expo­sé à une configuration géo­politique inédite, avec la montée de la me­nace terroriste (suite aux attentats du 11 septembre 2001).

À travers le cinéma, c'est cette période charnière de l'histoire américaine (et mondiale) que ce livre se propose d'étudier.