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"Glengarry"

« A-B-C. A-Always, B-Be, C-Closing. Always be closing. ALWAYS BE CLOSING. »

Glengarry - affiche

titre original "Glengarry Glen Ross"
année de production 1992
réalisation James Foley
scénario David Mamet, d'après sa propre pièce éponyme (1983)
interprétation Jack Lemmon, Al Pacino, Alec Baldwin, Ed Harris, Alan Arkin, Kevin Spacey, Jonathan Pryce
   
récompense Coupe Volpi pour Jack Lemmon au festival international du film de Venise 1992

Le titre du film

Il fait référence à deux propriétés, Glengarry Highlands et Glen Ross Farms, mentionnées par Shelley Levene, le personnage interprété par Jack Lemmon.

Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

Amusante comédie sur la compétition entre cadres des sociétés privées. C'est rarement cruel et finalement un peu mou.

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

On connaît l’impact de la bulle immobilière dans les difficultés économiques des États-Unis au détour des années 2007 à 2013. En 1992, James Foley, en reprenant à son compte une pièce de David Mamet (Prix Pulitzer 1984), nous montre l’envers du décor. Pas celui des spéculateurs, ni celui des clients floués, mais celui des vendeurs en première ligne pour fourguer à de pauvres bougres sans le sou et déjà enfouis sous les crédits une parcelle du rêve américain.

Dans une petite agence immobilière new-yorkaise, noyée sous une pluie incessante, s'échinent quatre vendeurs payés exclusivement à la commission. Les temps sont durs et les fiches de prospection éculées ne suffisent plus à fournir la pitance quotidienne. Le siège, "Mitch and Murray", a investi dans l'achat d'un fichier dit Glengarry Ross, pour remonter les ventes, et a envoyé sur place son plus bel étalon pour secouer des vendeurs jugés fatigués avant de mettre en circulation les précieuses fiches. C'est quasiment à l'entame du film qu'intervient, dans une scène d'anthologie, un Alec Baldwin touché par la grâce, venu comme il le dit lui-même "pour le coup de grâce", et qui balance, devant des vendeurs éberlués, un discours ultra-musclé, entrelardé de noms d'oiseaux bien sentis et de plaisanteries machistes (le doublage français a été remanié à l'occasion de la sortie DVD). Le tout se concluant par l'entrechoc de deux boules en acier censées représenter une paire d'attributs dont les vendeurs de l'agence seraient privés.

Le ton est donné de la plus belle des manières et le petit jeu peut commencer pour la convoitise des précieuses fiches gardées par un Kevin Spacey encore joufflu, qui incarne de manière appliquée le petit chef pistonné, trop heureux que dans l'affaire, on ne lui ait pas encore demandé de comptes. Baldwin ayant planté le décor, reste quatre vendeurs et un chef d'agence qui vont nous faire partager leurs états d'âme.

Pour cette comédie humaine, James Foley s'est entouré d'une brochette d'acteurs haut de gamme, Al Pacino, Jack Lemmon, Alan Arkin, Ed Harris et Kevin Spacey. Autour de ces fameuses fiches, objet de toutes les convoitises, se déclinent tous les comportements en réaction au stress. Le plus ancien, joué par un inénarrable Jack Lemmon, tente par tous les moyens de corrompre son jeune chef devenu cerbère. Il faut le voir, aux abois, se contorsionnant devant un Kevin Spacey impassible, trop sûr de son pouvoir. Du grand art, cousu main. De son côté, Moss, joué par Ed Harris, plus jeune, vendeur aigri, insatisfait de son sort, choisit de se rebeller tout en refusant d'en assumer seul les conséquences. Après avoir chercher à rallier à lui un Alan Arkin pétrifié, il finira par entraîner dans sa chute Jack Lemmon dit "La machine", vendeur en bout de course, à la dérive et qui, trop vieux ne pourra sans doute pas se relever de cette tentative à la desperado.

Reste Al Pacino, dit Roma, vendeur de haut vol tout en suavité, qui conclut ses ventes en allant dénicher chez ses clients les ressorts intimes qui les feront passer à l’acte. Loup solitaire, il n’en demeure pas moins attaché aux valeurs de respect et de solidarité entre les vendeurs fondées sur l’éternelle roue qui tourne. Il est donc en totale opposition avec Moss qui voit dans sa déveine le résultat d’une inégalité de traitement. L’affrontement a lieu dans une autre scène d’anthologie ayant pour point d’orgue le récit fantasmé d’une vente à l’arrachée par un Jack Lemmon qui dans un moment  extatique retrouve le lustre d’antan, quand son surnom de « La machine » avait encore un sens.

Une fois de plus, on peut apprécier le génie de l’immense Jack Lemmon, qui livre au crépuscule de sa carrière une prestation aussi jubilatoire que celle en jupons de "Certains l’aiment chaud" (Billy Wilder, 1959). Trente ans ont passé et l’acteur, pourtant fatigué par une carrière et une vie chaotiques, montre le même plaisir à se livrer devant l’objectif sans jamais oublier de faire briller ses partenaires.

James Foley, reprenant David Mamet, dénonce de manière acerbe le capitalisme sauvage américain porté aux nues par Ronald Reagan et Margaret Tatcher tout au long des années 80. Il montre ses impacts insidieux sur le monde du travail, ici une équipe de quatre vendeurs engagés dans une lutte à mort pour conserver leur emploi après qu’un Monsieur Loyal (pas tant que ça !) incarné par Alec Baldwin leur ait livré les règles du jeu. Cette charrette qui n’ose pas dire son nom va pousser deux d’entre eux à la faute, épargnant aux dirigeants de faire eux-mêmes le sale boulot. C’est bien connu, les loups se mangent entre eux ! À voir ces pauvres hères user de toutes leurs ruses pour pousser à la vente d’autres pauvres hères sans le sou, on comprend mieux pourquoi vingt ans après, le système poussé à son paroxysme se soit effondré sous le poids de l’insolvabilité des banques.

Un cinéma virtuose et prémonitoire, dont on aimerait que nos dirigeants soient de plus friands spectateurs.

Affiche alternative de "Glengarry" © Pete Majarich

Glengarry - générique