Menu Fermer

"Voyage au bout de l'enfer"

God bless America?

Voyage au bout de l'enfer - affiche

titre original "The Deer Hunter"
année de production 1978
réalisation Michael Cimino
scénario Deric Washburn
photographie Vilmos Zsigmond
musique Stanley Myers
montage Peter Zinner
interprétation Robert De Niro, Christopher Walken, John Savage, John Cazale, Meryl Streep, George Dzundza, Chuck Aspegren
 
récompenses • Oscar du meilleur film
• Oscar du meilleur réalisateur
• Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Christopher Walken
• Oscar du meilleur mixage
• Oscar du meilleur montage

Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

Une cité industrielle de l'Amérique profonde, des ouvriers, le Viêtnam pour demain. Certains se marient, d'autres chassent le daim. Mais l'épreuve rend différent Mike, qui ne tuera plus les daims, et Mich, qui se drogue littéralement du jeu de la mort. Cimino, cinéaste des rites, filme avec une maîtrise incomparable la noce orthodoxe et la roulette russe, deux faces du jeu de la vie. Le mythe est présent, dans cette scène quasi westernienne où un béret vert, accoudé à un comptoir, répond laconiquement aux jeunes conscrits. La tragédie est là, dans cette destruction d'une communauté, par la faute d'une guerre sur laquelle on ne porte aucun jugement, et sa patiente reconstruction par Mike, personnage central. Historiquement, le moment où l'Amérique relève la tête. Cinématographiquement, un chef-d'œuvre, digne des plus grands.

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

Michael Cimino, décédé en 2016 à 77 ans, sera resté jusqu'au bout l'un des enfants terribles d'Hollywood. Dès son deuxième long métrage, il tutoie les sommets avec "Voyage au bout de l'enfer", qui décroche pas moins de cinq statuettes à la cérémonie des Oscars de 1979. La suite sera beaucoup plus tourmentée, Cimino enchaînant aussitôt avec le désastre financier que sera "La Porte du paradis", film fleuve qui marquera l'acmé des rapports conflictuels qu'entretenait avec les producteurs le réalisateur surdoué aux inclinations mégalomaniaques. Au sein d'une filmographie qui sera par la force des choses ramassée (sept films au total), "Voyage au bout de l'enfer" fait donc figure de sommet, de par le sujet traité et l'aura qui entoure encore le film quarante ans après sa sortie.

À Hollywood, durant les années 1970 et 1980, les films ayant pour toile de fond le conflit vietnamien constituent une manière d'affirmer leur différence pour la nouvelle génération de réalisateurs (Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Hal Ashby, Michael Cimino, Oliver Stone, Ivan Passer...), appelée à remplacer celle des grands anciens de l'âge d'or qui, un à un, finissent de tirer leur révérence. Singulièrement, "Voyage au bout de l'enfer" affirme son ambition d'embrasser sur près de trois heures l'ensemble des problèmes rencontrés par les jeunes appelés, déracinés de leur Amérique profonde ou urbaine afin d'aller se battre dans le Pacifique pour une cause difficilement identifiable.

Michael Cimino choisit de scruter au plus près l'impact de ce départ traumatique au sein d'une communauté d'origine russe implantée dans une petite cité sidérurgique de Pennsylvanie à travers trois des leurs, interprétés par Robert De Niro (Mike), Christopher Walken (Nick) et John Savage (Steve). Durant un long prologue de près d'une heure que la production aura la tentation d'amputer, le réalisateur saisit le mariage orthodoxe de Steve pour exposer de manière grandiose (formidable photographie de Vilmos Zsigmond) le contexte et la psychologie des personnages, qui aideront à comprendre le comportement à venir de chacun, que ce soit dans l'enfer des rizières ou dans la gestion du retour. Cette entame fait bien sûr penser à la longue scène d'introduction du "Parrain" de Francis Ford Coppola (1972), que Cimino aura forcément intégrée dans son imaginaire pour filmer cet adieu à un quotidien auquel il est bien difficile de s'arracher, malgré le grand renfort d'alcool qui accompagne la cérémonie et le rituel de la chasse au cerf dont chacun espère qu'elle ne sera pas la dernière.

La plongée dans la brutalité de l'enfer vert s'effectue sans transition, montrant la différence abyssale entre les deux mondes. Michael Cimino, dont le goût pour le sensationnel teinté de quelques incohérences a été fortement critiqué pour l'occasion, replace très vite le spectateur en présence des trois jeunes hommes, alors qu'ils sont prisonniers d'une cellule en bambou immergée dans le lit d'une rivière pour en être extraits afin de participer à un jeu de roulette russe démoniaque. Dès lors, les caractères entrevus vont s'affirmer. Mike, le plus introverti mais aussi le plus réfléchi, va s'auto-investir du devoir de prendre soin de ses deux amis, dont la structure mentale va gravement se lézarder face à une mort omniprésente. Mu par la volonté de ramener le trio au complet dans sa Pennsylvanie natale, Mike va y puiser une raison de survivre. Cette volonté farouche de replacer les choses là où elle ont été abandonnées va structurer la suite du récit, Mike portant sur ses seules épaules les attentes de toute sa communauté.

Mais la guerre a sa propre loi impitoyable, qui s'impose à ceux qui la mènent comme à ceux qui la subissent, même loin du théâtre des opérations. La scène finale juste après l'enterrement de Nick, où le petit groupe enfin réuni entonne « God Bless America » pour tenter de regarder par-delà cette parenthèse cauchemardesque, aura été vue par une partie de la critique comme une justification de l'engagement américain au Vietnam de la part de Cimino. Dès lors, les qualificatifs de raciste et de réactionnaire ne quitteront jamais complètement la réputation du réalisateur et ne seront peut-être pas pour rien dans sa marginalisation progressive. En réalité, comme Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, dans leur livre somme 50 ans de cinéma américain, on ne peut avec le recul que constater l'absence totale de discours idéologique de cette "Chasse au daim" (titre original du film), qui n'est en réalité qu'une ode à l'amitié mise à l'épreuve de la guerre.

Il n'en reste pas moins qu'en dépit des vicissitudes qui minèrent sa carrière, Michael Cimino demeure l'un des réalisateurs les plus représentatifs du Nouvel Hollywood.

Référence

Clarence (Christian Slater) dans "True Romance" : « Comin' home in a body bag, c'était vraiment ce que j'appelle du cinéma. La première œuvre avec des couilles, après Voyage au bout de l'enfer, qui ait raflé des Oscars. »

Pour une cinémathèque idéale

"Voyage au bout de l'enfer" fait partie de la liste "100 films pour une cinémathèque idéale" établie en 2008 et éditée en livre par les éditions des Cahiers du cinéma. Il y figure à la 35e place.

Présentation de "Voyage au bout de l'enfer" par Jean-Baptiste Thoret
au Centre des arts d'Enghien-les-Bains dans le cadre du cycle "Ciné Seventies" en 2012-2013

Photos de tournage

Robert De Niro fêtant son anniversaire avec John Cazale, Michael Cimino et Vilmos Zsigmond
Christopher Walken
Christopher Walken, Robert De Niro, Chuck Aspegren, John Savage et John Cazale
Voyage au bout de l'enfer - affiche
Nouvelle affiche de "Voyage au bout de l'enfer" éditée pour le 40e anniversaire du film
Voyage au bout de l'enfer
Affiche alternative de "Voyage au bout de l'enfer" © Laurent Durieux
Voyage au bout de l'enfer
Affiche alternative © Laurent Durieux (variante)
Voyage au bout de l'enfer
Affiche alternative de "Voyage au bout de l'enfer" © Matt Needle
Affiche alternative de "Voyage au bout de l'enfer" © Pete Majarich
Couverture du Cinématographe de mars 1979

Voyage au bout de l'enfer - générique

Les critiques de films de Citizen Poulpe
La critique de Bertrand Mathieux