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"Master and Commander : de l'autre côté du monde"

The courage to do the impossible lies in the hearts of men.

titre original "Master and Commander: The Far Side of the World"
année de production 2003
réalisation Peter Weir
scénario Peter Weir et John Collee, d'après les romans de Patrick O'Brian
photographie Russell Boyd
interprétation Russell Crowe, Paul Bettany
récompenses • Oscar de la meilleure photographie
• Oscar du meilleur montage de son

La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains

Manœuvrant son blockbuster hollywoodien comme une frêle embarcation, l'australien Peter Weir signe le chef-d’œuvre de sa carrière américaine.

On pense à David Lean pour l’admirable agencement de la narration, l’utilisation de moyens gigantesques, la splendeur de la reconstitution historique. Lean, encore, dans l’attention inouïe portée au moindre second rôle. L’opposition entre l’homme de guerre et l’homme de science annonce le changement d’une époque et une appréhension plus sensible du monde.

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L’intelligence de traitement rappelle "Gallipoli" (1981) et l’équilibre est parfait entre les plages de calme contemplatif (l’exploration des Galápagos) et les époustouflants morceaux de bravoure (attaque surprise de l’Achéron, tempête au cap Horn).

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Optant pour des effets spéciaux transparents, Weir préfère les complaintes des vieux maîtres aux tonitruantes bandes sonores d’aujourd’hui. Bach, Corelli, Mozart enveloppent le périple guerrier et intimiste de Jack Aubrey. Magnifique.

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

La carrière du réalisateur australien Peter Weir peut être considérée comme l’accomplissement d’un sans-faute. En près de quarante ans (de 1974 à 2011) et treize longs métrages réalisés, tout d’abord dans son Australie natale (5 films), puis à Hollywood à partir de "Witness" (1985), Peter Weir a fait montre d’un éclectisme l’amenant du fantastique onirique ("Panique à Hanging Rock") au thriller rural ("Witness") en passant par le film de combats navals ("Master and Commander : de l’autre côté du monde"), la comédie sociale ("Green Card") ou le film d’anticipation ("The Truman Show"). En réalité, Peter Weir n’a jamais creusé deux fois le même sillon. Ceci sans jamais renoncer à son ambition artistique, même lorsqu’il aura été happé par la machine hollywoodienne. Performance assez rare qui mérite d’être soulignée.

En 2002, il se retrouve pour la première et unique fois à la tête d’une production dépassant les 100 millions de dollars avec "Master and Commander : de l’autre côté du monde". Il convient de préciser que le film de pirates n’est plus en odeur de sainteté à Hollywood depuis que Roman Polanski s’est essayé au genre en 1986 avec "Pirates" qui fut un cuisant échec, suivi en 1995 par le ratage encore plus retentissant de "L’île aux pirates" de Renny Harlin. Autant dire que miser 150 millions de dollars alors que l’heure est à l’adaptation des comics Marvel, semble un pari plus qu’osé qui met une énorme pression sur les épaules de Peter Weir et de Russell Crowe, son acteur principal encore tout auréolé de sa prestation dans "Gladiator" qui lui a valu un Oscar. Les deux films malheureux précités ayant adopté une tonalité parodique, les producteurs ont orienté leur propos dans une toute autre direction. Le scénario écrit par Peter Weir lui-même est inspiré des "Aubreyades", œuvre de Patrick O’Brian (1914-2000) déclinée en 20 volumes, narrant les exploits maritimes du capitaine anglais Jack Aubrey durant la période napoléonienne. La particularité de l’auteur est l’extrême précision technique de ses intrigues, alliée à la violence qu’elles contiennent.

Le scénario pioche des éléments divers dans 12 des 20 romans et plus particulièrement dans "De l’autre côté du monde", comme l’indique le titre du film. Peter Weir a souhaité rester fidèle à l’esprit des "Aubreyades" et s’applique à dresser les portraits de Jack Aubrey (Russell Crowe) et du docteur Stephan Mathurin (Paul Bettany) engagés avec l’équipage du Surprise à la poursuite de l’Acheron, un navire français de l’armée napoléonienne plus grand en taille et d’une conception plus avancée au niveau de la structure de sa coque. Capitaine charismatique et marin accompli, Aubrey a pour fait d’armes d’avoir navigué sous le commandement de l’Amiral Nelson, véritable dieu vivant de l’armada anglaise. Surnommé par ses hommes « Jack la chance », il est tout à la fois un esthète capable de pratiquer le violon en compagnie du docteur Mathurin à ses heures perdues, un adepte du commandement juste, un ripailleur grivois avec ses lieutenants quand il faut les galvaniser mais aussi un décideur intransigeant quand l’intérêt collectif doit primer sur les destins individuels. La partie de cache-cache qui s’engage aux abords du Cap Horn avec le vaisseau français révèle une obstination qui vient quelque peu contredire l’équilibre parfait qui semblait constituer la personnalité de Jack Aubrey.

Peter Weir utilise parfaitement le caractère introverti du docteur Mathurin, excellemment interprété par Paul Bettany, pour mettre en relief les contradictions qui habitent un militaire se laissant par instants aller à la construction de sa propre légende. La joute amicale entre les deux hommes rythme le récit, offrant une réflexion nourrie sur l’exercice du pouvoir en temps de guerre. Celle-ci est judicieusement agrémentée par les avanies du parcours, décrites avec minutie, et par les personnages secondaires tous parfaitement brossés. Les effets spéciaux, les cascades ainsi que la photographie de Russell Boyd, fidèle compagnon de route de Weir, constituent la cerise sur le gâteau de ce film magnifique que Michael Curtiz, grand spécialiste inégalé du genre dans les années 1930 à 40 à Hollywood ("Le Capitaine Blood", "L’Aigle des mers", "Le Vaisseau fantôme"), aurait certainement aimé diriger. Deux heures durant, grâce à Peter Weir et Jack Aubrey, le spectateur bourlingue, tangue et ferraille sur les mers du Sud. À tel point qu’ayant bravé le mal de mer, l’envie irrépressible lui prend d’accompagner le capitaine Aubrey dans sa poursuite sans fin de l’Acheron.

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Affiche alternative © Pete Majarich